Faire un faux semis pour piéger la nature

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Faire un faux semis pour piéger la nature

Semer « pour de faux. »  Tricher avec la nature en créant des conditions pour lui faire croire qu’il est temps de lever. Piéger ces membres du règne végétal qui risquent d’entrer en compétition avec la culture qu’on souhaite développer.
La préparation du lit de semence est un bouleversement de la surface du sol, qui met les graines des adventices en conditions de germination… puis on les surprend avec un deuxième événement violent – à cette échelle – qui va les déraciner. Ainsi, on réduit le stock semencier de surface en générant des pertes par germination.
Le faux semis est une stratégie située à la croisée de 2 chemins : « leviers de gestion des adventices » et « gestion de l’interculture ». Dans le système de culture, on le raisonne après avoir conçu une rotation/succession diversifiée, et avant les leviers de lutte curative : mécanique, chimique, thermique… ou manuel. Le faux-semis fait partie d’une énorme boîte à outils agronomique; pour en tirer un réel bénéfice, on utilise cet outil pour répondre à une problématique que l’on maîtrise, en association avec d’autres outils de la boîte et dans les conditions – si possibles – idéales.

La problématique à maîtriser : qui je vise / qui je favorise

Qui a dit qu’il fallait bien connaître son ennemi pour mieux le détruire ? Dans une perspective agroécologique, on peut aller plus loin : on ne cherche pas forcément à le détruire, mais à le maîtriser durablement. Beaucoup d’agriculteurs détruisent souvent un « ennemi » … qui en fait n’est pas dangereux ! C’est souvent la connaissance qui nous manque. On souhaite une solution miracle et on court-circuite un savoir essentiel : la biologie de la plante. Les agriculteurs travaillent avec la nature – certains considèrent même qu’ils en font partie ; si on veut que la relation soit équilibrée, il faut bien se connaître, non ?

Sans tout détailler, allons à l’essentiel : qui est cette plante que je souhaite limiter dans ma parcelle ? Quel est son seuil de nuisibilité ? Est-elle annuelle ? Est-ce une monocotylédone ou une dicotylédone ? A quel moment lève t’elle, fleurit t’elle ? Comment se multiplie t’elle ? Quel est son TAD* ? Est-ce une habituée de la parcelle ? Est-elle indicatrice de conditions particulières du sol ? Et… pouvez-vous continuer la liste des questions à poser à l’accusée ? En face, il s’agit de savoir quelle est la date d’implantation et de levée approximative de la culture que l’on va implanter. Mais aussi quel degré de salissement on s’autorise, la culture est-elle plus sensible qu’une autre à la compétition adventice ?

Ce que je fais et… ce que je veux

Le faux-semis n’est pas adapté à tous les systèmes. Comme le faux-semis implique une période d’inoccupation du sol, on l’oublie en agriculture de conservation. On peut faire 1, 2 ou 3 faux-semis, qui sont autant de perturbations du sol. A vous de choisir le degré d’impact que vous souhaitez avoir. Les philosophies travail du sol et AC sont plutôt opposées : d’un côté on maintien le vide, de l’autre on lui fait la guerre en « inondant » la parcelle avec un couvert végétal dont on connaît les caractéristiques et qui va étouffer les plantes qu’on ne souhaite pas conserver. D’un côté on bouleverse un sol dont on souhaite construire la fertilité physique, de l’autre on n’y touche pas quitte à s’autoriser la chimie. Les débats actuels montrent que la question n’est pas facile, mais les résultats d’essais permettent de faire un choix. En bio le faux-semis est un levier essentiel, même si l’ABC – Agriculture Biologique de Conservation – commence à faire parler d’elle.

Un outil qui ne marche pas seul… et à utiliser sous certaines conditions

Dans notre boîte à outils, le faux-semis est souvent rangé à côté du levier « décalage du semis », dans un compartiment « interculture » organisé avec beaucoup d’ingéniosité.

Il faudra agir aux périodes préférentielles de levée des adventices visées, de préférence au stade levée, cotylédons « fil blanc ». Les résultats d’essais menés par Arvalis Institut du Végétal ont montré qu’un déchaumage très superficiel favorise la levée des adventices pendant l’interculture ; les faux-semis efficaces s’obtiennent avec un matériel adapté au travail superficiel. Au maximum 3-4 cm de profondeur afin de ne pas remonter les graines enfouies. L’outil – mécanique – idéal doit permettre un bon émiettement, une vitesse de travail suffisamment élevée, un bon rappui et un bon nivelage. Herse étrille, houe rotative, vibroculteur ou herse plate peuvent être utilisés.

Les essais de Montcuq (46) ont montré que la réalisation de 2 faux-semis (à 8-10 jours d’intervalle) associés à une date de semis reculée de 10 jours permettent de réduire de 100% la population de vulpin, par rapport à un faux-semis seul. On passe de 75 à 35 plantes/m2. Il faudra veiller à diminuer à chaque passage la profondeur de semis pour éviter de remonter des graines enfouies précédemment. L’outil « ultime » contre le vulpin est le labour, qui permet de réduire la densité de vulpin à 5 plantes/m2 dans cet essai. Un levier fatidique, pas que pour le vulpin d’ailleurs.

C’est au printemps que la plupart des faux-semis sont réalisés car la réussite est conditionnée par un sol ressuyé et une température suffisamment élevée dans les premiers cm du sol. Il faudra donc attendre fin avril-début mai pour avoir une bonne levée des adventices. La destruction sera en revanche réalisée sur sol sec en mécanique, sans pluie ni vent en chimique. Dans certains types de sol la technique est délicate car l’affinement de la structure du sol peut favoriser la battance.

Les chiffres

– 26, c’est le nombre de leviers de gestion des adventices répertorié sur le portail Ecophytopic
– 2 cm, c’est la profondeur de déchaumage qui permet de faire lever 2 à 4 fois plus d’adventices qu’un déchaumage à 4 cm (source : Arvalis Institut du Végétal)

Testimonial client :

chez Jocelyn, un faux-semis pour générer de la matière verte
« Ma pratique – essentielle en système bio – est un hybride de faux-semis. Je profite des fins de culture pour nettoyer mes parcelles. Après la récolte, je procède à une préparation superficielle sommaire, en général un déchaumage qui favorise la levée de la flore adventice, composée surtout de dicotylédones annuelles : véronique, chénopode, mercuriale. Je les détruis à un stade de végétation avancée mais avant floraison, ce qui produit entre 1,5 et 3 tonnes de MS à l’hectare, un bel engrais vert gratuit pour mon sol ! Je l’enfoui par un broyage puis un labour, qui en fin de saison ne présente pas l’inconvénient du salissement de la parcelle par remontée des graines des horizons inférieurs »

Jocelyn, 22

Opaline Lysiak